Demandez à l’expert : Scott Armstrong
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Fort d’une expérience de plus de 25 ans en science du bâtiment, Scott Armstrong a travaillé dans tous les aspects du bâtiment. Son expertise témoigne de son expérience diversifiée dans le domaine du bâtiment durable et de la conception durable. Il a en effet travaillé à la conception et à la construction de bâtiments; au suivi de la détérioration, des défaillances et de la performance en continu; ainsi qu’à des projets de renouvellement dans les secteurs commerciaux, institutionnels, de soins de santé, patrimoniaux, récréatifs et résidentiels, en plus de projets d’aménagements de quartier, au Canada, dans les Caraïbes et au Moyen-Orient. Dans cette entrevue, il nous explique comment il contribue à combler l’écart traditionnel entre l’architecture et l’ingénierie.
Pouvez-vous nous parler de votre cheminement et de votre poste actuel?
J’ai obtenu mon diplôme du Sheridan College en 1996. Après un court séjour au Japon, j’ai travaillé quatre ans dans une firme d’architectes aux Bermudes, principalement sur un projet de grand édifice de bureaux commercial, des premières étapes de sa conception, jusqu’à son achèvement. Cette expérience m’a permis de comprendre l’importance de coordonner les différents systèmes du bâtiment, notamment en ce qui concerne l’architecture, la structure, la mécanique et l’électricité. Par ailleurs, la découverte, pendant la construction, de fuites au niveau de fenêtres nouvellement installées, nous a amenés à faire appel à Halsall Associates (aujourd’hui WSP) pour effectuer des tests, déterminer la cause des fuites et élaborer des mesures correctives. J’étais au chantier en tant que représentant de la firme d’architectes locale et j’ai participé à la préparation des rapports d’enquête, ce qui m’a ouvert les yeux sur le monde des sciences du bâtiment. Après avoir suivi quelques cours à distance sur les principes fondamentaux des sciences du bâtiment, j’ai emménagé à Toronto en 2001 pour me joindre à une firme de consultants en sciences du bâtiment où j’ai acquis de l’expérience dans l’évaluation et la réparation de bâtiments existants, l’examen de la conception de nouvelles constructions, les essais au chantier et la surveillance des chantiers de construction.
C’est mon épouse, titulaire d’un baccalauréat en sciences biologiques et d’une maîtrise en écologie, qui a éveillé ma passion pour la durabilité et m’a ouvert les yeux sur le monde naturel. J’ai vite trouvé le lien entre l’écologie et l’environnement bâti et un nouveau sens à mon travail. Ce nouvel objectif m’a mené à l’obtention du titre de PA LEED et à la création d’une équipe de consultants en durabilité au sein de la firme. J’ai passé quelques années à développer et à fournir des services de consultant LEED, à assurer la mise en service d’enveloppes de bâtiments et à offrir des services-conseils en durabilité, ce qui m’a permis de mieux comprendre l’approche systémique, en particulier la relation symbiotique entre les enveloppes de bâtiments et les systèmes de CVCA.
Je suis actuellement un spécialiste senior des façades dans le groupe des sciences du bâtiment de WSP. Je fournis un soutien technique à nos équipes de conception et de mise en service d’enveloppes, et de projets patrimoniaux, de restauration et de renouvellement. Je contribue à orienter nos projets de rénovations majeures et de décarbonation qui comprennent généralement des améliorations de l’ensemble de l’enveloppe et des systèmes de CVCA de bâtiments existants occupés. Et je travaille étroitement avec les clients pour comprendre comment nous pouvons répondre aux mieux à leurs besoins. Je présente des exemples de notre travail dans le cadre d’événements de l’industrie et de présentations, et je collabore avec d’autres secteurs et sous-secteurs de WSP pour la prestation de services collaboratifs.
Vous parlez souvent de la « science et de l’art » des bâtiments et de leurs systèmes. Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie?
Je me considère comme un « archinieur » : ni architecte ni ingénieur, mais un intermédiaire entre ces deux sphères. J’utilise mes compétences de spécialiste en sciences du bâtiment et de généraliste en durabilité pour réunir la beauté de l’architecture en tant qu’« art » et l’intelligence de l’ingénierie en tant que « science » des bâtiments. J’aime remettre en question les idées reçues, trouver des avantages à la coopération et pousser les spécialistes à collaborer avec d’autres spécialistes afin d’obtenir de meilleurs résultats. Je suis également conscient du « message à communiquer » : quelle histoire voulez-vous raconter sur votre projet? Cela aide les gens à se concentrer sur ce qui est important.
Les nouveaux bâtiments sont perçus comme étant écoénergétiques, mais les bâtiments les plus verts sont ceux qui sont déjà construits. Comment évaluer le potentiel de rénovations pour convaincre les investisseurs?
Je crois qu’il y a deux sujets différents ici. Pour les nouveaux bâtiments, le mot clé est « perçus ». Les nouveaux bâtiments ne sont pas tous écoénergétiques et nombre d’entre eux ne sont pas sobres en carbone. Il peut également s’avérer plus difficile de les rénover, car ils sont souvent dotés de revêtement d’ingénierie à la limite de leurs performances thermiques et structurelles, et les dimensions actuelles des équipements limitent les espaces intérieurs. Leur performance est donc bloquée. De plus, les nouveaux bâtiments subissent une pression énorme sur les coûts, ce qui pourrait affecter leur durabilité et les coûts d’entretien futurs.
En évaluant le potentiel de rénovation d’un bâtiment existant, je crois que l’élément le plus important à considérer est l’exposition réelle au risque. Si un bâtiment doit faire l’objet d’investissements importants et planifiés, que ce soit pour le remplacement d’équipements ou la restauration de l’enveloppe, il faut se concentrer sur le coût différentiel des améliorations visant la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de carbone par rapport à des travaux similaires, et non sur le coût total du projet. Les améliorations opportunistes peuvent avoir un impact considérable, et ce, à un coût très faible.
Recherchez toujours les avantages de la coopération. Il peut être facile de réduire la consommation et les émissions simplement en électrifiant les systèmes de chauffage dans les marchés où l’électricité est sobre en carbone, mais cela a souvent des incidences considérables sur la capacité du réseau, la demande en électricité au niveau du quartier, la taille des équipements, l’utilisation de l’espace et les calendriers des projets. J’ai travaillé sur plusieurs projets où la modernisation de l’enveloppe des bâtiments a permis de mettre en place une solution de chauffage, de ventilation et de climatisation à faibles émissions de carbone. Nous avons pu réduire la demande énergétique pour faciliter l’électrification dans les limites de la capacité électrique disponible, utiliser des équipements beaucoup plus petits, réduire les coûts et accélérer la réalisation des projets. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est possible. Je pense que nous avons la responsabilité de gérer le réseau et l’impact carbone total.
Finalement, qu’il s’agisse d’un projet de nouveau bâtiment ou de rénovation d’un bâtiment existant, n’oubliez pas que vos décisions sont générationnelles – elles dureront de 20 à 40 ans et plus – d’où l’importance de prendre la bonne décision.
Comment gagner la confiance des propriétaires immobiliers pour investir et obtenir un rendement du capital investi (RCI)? Les données suffisent-elles pour trouver un terrain d’entente entre les financiers et les experts techniques?
Chaque personne a des priorités et des valeurs qui lui sont propres. Il est donc important de comprendre ce qui motive l’investissement. Les bonnes décisions sont fondées sur des données précises, mais les données elles-mêmes ne sont pas utiles sans le contexte des autres motivations financières du propriétaire, de sa tolérance au risque, de la performance du bâtiment et des questions opérationnelles.
Il se peut qu’une personne évalue son RCI en tenant compte de l’élimination des problèmes d’entretien récurrents et qu’ainsi, elle soit prête à engager un coût initial plus élevé pour prioriser cet avantage. Pour une autre personne, le RCI sera évalué en tenant compte de la carboneutralité du bâtiment ou de son caractère attractif auprès des locataires. Il est également essentiel d’avoir les bonnes perspectives techniques et des personnes prêtes à remettre en question les hypothèses conventionnelles et à tester les approches traditionnelles pour garantir une valeur optimale.
En quoi le fait d’être impliqué à différentes étapes, de la conception à la rénovation d’un bâtiment, permet-il d’adopter une approche proactive à l’entretien des systèmes du bâtiment?
La durée de vie des systèmes d’un bâtiment s’étend sur plusieurs générations. Les choix que nous faisons aujourd’hui resteront en place pendant 20 à 40 ans, voire plus. Dans les nouveaux projets, je vois beaucoup de conceptions qui ne tiennent pas compte du remplacement futur (comme la toiture ou le vitrage) ou qui ne prévoient pas le démontage, la réutilisation ou le recyclage. Je sais bien que ce ne sont pas tous les propriétaires qui s’engagent à long terme dans leurs bâtiments, mais je pense que les professionnels ont l’obligation d’informer leurs clients de ces considérations et de les aider à comprendre les répercussions des décisions de conception. Lorsque je participe à un nouveau projet, je pense généralement à des horizons de 20 à 50 ans. Je sais que l’enveloppe sera probablement la meilleure possible dès le premier jour, qu’il est difficile de la rénover ou de l’améliorer, et qu’elle survivra probablement aux équipements de mécanique et d’électricité. Il est donc crucial de choisir la « bonne » enveloppe.
Le même raisonnement s’applique aux projets de renouvellement. Les bâtiments existants (leur construction et leur exploitation) sont responsables des émissions de carbone qui nous ont conduits à la crise climatique actuelle. Nous devons continuer d’entretenir, d’améliorer et d’adapter les bâtiments existants. Plusieurs d’entre eux ont des ratios murs-fenêtres raisonnables, peuvent être isolés par l’extérieur et ont une masse thermique plus élevée, soit la combinaison parfaite pour des bâtiments passifs, résilients et sobres en carbone.
Le niveau d’engagement pour les projets de rénovation dépend de l’imminence de la mise en œuvre. La plupart des études à l’échelle d’un portefeuille ne contiennent pas suffisamment d’informations pour exécuter un projet, et ce n’est pas nécessaire. L’objectif est d’avoir une vision globale des occasions de décarbonation ou de rénovation. Je vois beaucoup de clients demander des études très approfondies pour des bâtiments qui n’auront pas besoin de moderniser leurs équipements ou de rénover l’enveloppe avant au moins 10 ans. Selon moi, c’est un effort inutile, car bien des choses changeront avant que ce projet ne se réalise, que ce soit au niveau de la technologie, des finances ou des systèmes, de sorte que la solution actuelle changera probablement aussi. Par contre, même les études de haut niveau devraient inclure suffisamment l’avis de spécialistes techniques pour s’assurer que les stratégies de rénovation sont pratiques et réalisables et que le client ne manque pas une opportunité générationnelle.
Lorsque la mise en œuvre d’une stratégie de modernisation se profile à l’horizon, il est préférable de faire appel à une équipe multidisciplinaire de spécialistes, guidée par une vision forte du projet, et à quelqu’un qui puisse les réunir pour obtenir un résultat optimal.
Vous avez travaillé au Canada, dans les Caraïbes et au Moyen-Orient, sur différents types de projets, de bâtiments neufs et existants. Quel est le mythe courant sur l’enveloppe à haute performance que vous aimeriez réfuter?
Il y en a quelques-uns. Tout d’abord, j’aimerais dénoncer la « prime au manque de connaissance ». Je pense que bien des gens abordent des solutions qu’ils ne connaissent pas en partant du principe qu’elles coûteront plus cher ou qu’elles sont tout simplement trop difficiles à mettre en œuvre. Je le constate régulièrement, tant dans les projets de bâtiments neufs que dans des projets de rénovation de bâtiments existants. Nous passons beaucoup de temps derrière des écrans, ce qui peut nuire à nos connaissances sur les nouvelles façons de bâtir. Les concepteurs et les constructeurs sont très productifs et très efficaces, mais ils auront l’impression que ce qui ne correspond pas à leurs façons de faire habituelles sera probablement coûteux.
Lors d’une visite de chantier, j’ai récemment remarqué qu’un solin de coupure thermique que nous avions détaillé avait été rejeté. À ma visite suivante, nous avons réuni un petit groupe d’entrepreneurs pour savoir ce qui les inquiétait. Je me suis appuyé sur ma propre expérience pour démontrer notre intention et solliciter leur avis. Il n’a fallu que 15 minutes de discussion active et collaborative pour que les perspectives changent. Aucune incidence financière, personne n’a perdu la face et nous sommes parvenus à un meilleur résultat.
Deuxièmement, et cela pourrait surprendre, je tiens à reconnaître que les enveloppes de bâtiment ne sont pas la seule solution. Je pense qu’il y a bien des raisons pour réaliser de meilleures enveloppes de bâtiment, quel que soit le sens que l’on donne à « meilleures », qu’il s’agisse d’une plus grande efficacité thermique, d’une plus grande étanchéité, de ses caractéristiques passives et actives, de la meilleure acoustique, etc. À mon avis, il s’agit d’optimiser l’enveloppe pour atteindre les objectifs de performance et de faire correspondre ses performances à la stratégie de chauffage et de refroidissement active (ou passive). Les enveloppes des bâtiments résidentiels pourraient privilégier la résilience et la capacité de survie passive, car les gens voudront rester chez eux lors d’événements météorologiques extrêmes. Les enveloppes des bâtiments locatifs pourraient privilégier l’efficacité thermique, la durabilité et la faible maintenance afin de réduire les coûts d’exploitation. Les enveloppes des bâtiments de soins de santé pourraient privilégier l’acoustique, le confort thermique et le contrôle des infections, car la performance énergétique est dominée par les charges de ventilation. Les enveloppes des immeubles de bureaux commerciaux pourraient privilégier le contrôle des gains solaires afin de minimiser la demande de refroidissement et d’améliorer le confort des occupants. Il en va de même pour les rénovations : il s’agit d’optimiser le bâtiment en tant que système interdépendant, sans nécessairement se concentrer sur un seul élément, tout en profitant des améliorations progressives ou opportunistes.