Demandez à l’expert : Philippe Hudon
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Travaillant dans le domaine des services de mécanique du bâtiment, des technologies et des approches en matière d’efficacité énergétique, Philippe Hudon a su se faire un nom par une expérience riche et variée en conception, installation et en recherche et développement avant de fonder Akonovia, une firme de génie-conseil spécialisée dans la transition énergétique et la décarbonation. Dans ce numéro de Demandez à l’expert, il fait un état des lieux de la transition durable au Québec et de l’importance d’investir dans des bâtiments durables, maintenant.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours et de votre poste actuel ?
Depuis le début de mes études, j’ai toujours été passionné par l’efficacité énergétique. Au cégep, mes professeurs participaient à des conférences sur les bâtiments durables, et je m’inspirais des présentations qu’ils partageaient. Cette passion m’a conduit à poursuivre un baccalauréat en ingénierie, suivi d’une maîtrise en efficacité énergétique et énergies renouvelables, avec une spécialisation en géothermie. Dès mon entrée sur le marché du travail, j’ai eu la chance de travailler dans deux domaines complémentaires : la simulation énergétique et l’expertise des systèmes géothermiques.
Depuis maintenant 10 ans, j’ai fondé Akonovia, une firme spécialisée en efficacité énergétique et en décarbonation, qui œuvre à travers le Canada. Avec une équipe de plus de 90 membres, nous accompagnons nos clients dans la transition énergétique en leur offrant des solutions novatrices et durables. Cette aventure professionnelle est le prolongement naturel de ma passion pour l’efficacité énergétique, nourrie dès mes études et renforcée par mes expériences en simulation énergétique et en expertise des systèmes géothermiques. Akonovia est aujourd’hui un acteur clé en efficacité énergétique, avec une mission claire : accompagner pour la transition énergétique et la carboneutralité.
Votre mission est de décarboner l’environnement bâti. Pouvez-vous partager votre point de vue sur le contexte actuel au Québec ? (législation, codes du bâtiment, investissements)
Au Québec, nous avons la chance de bénéficier d’un réseau électrique largement décarboné, avec une électricité produite à 90 pour cent par l’hydroélectricité, et une bonne partie du reste provenant de l’éolien. Cela place notre province dans une position enviable en termes d’empreinte carbone liée à l’énergie.
Cependant, cette abondance énergétique, couplée à des coûts relativement bas, nous a parfois poussés à ne pas valoriser pleinement cette ressource précieuse. De plus, les réglementations ne sont pas adaptées à cette nouvelle réalité. Aujourd’hui, les bilans énergétiques sont de plus en plus serrés, et il devient impératif de mieux gérer cette richesse. Nous devons porter une attention particulière à la gestion de la puissance en période de pointe hivernale, ainsi qu’à la consommation de kilowattheures tout au long de l’année.
Le Québec est à un carrefour : nous disposons d’une base exceptionnelle avec notre réseau décarboné, mais la disponibilité de cette énergie est limitée. Cela nous pousse à réfléchir à des stratégies qui permettent d’optimiser son utilisation, tout en saisissant les opportunités pour accroître notre résilience énergétique et continuer à décarboner d’autres secteurs.
Lors du sommet Plus vite vers le zéro du CBDCA à Montréal l’automne dernier, vous avez déclaré qu’en trois ans, nous sommes passés d’une situation d’abondance à une situation plus tendue. Pouvez-vous élaborer un peu ?
Il y a cinq ou six ans, nous vivions dans une situation d’abondance énergétique. À cette époque, le Québec disposait de surplus d’énergie si importants qu’il était difficile de savoir comment les utiliser. Nous cherchions à attirer des industries et des entreprises pour consommer cet excédent, en voyant cela comme une opportunité économique.
Cependant, en seulement deux ans, ce paradigme a complètement changé. Nous sommes passés d’un surplus énergétique à une situation où les bilans sont désormais serrés, voire déficitaires en termes de puissance disponible dans le réseau. Cette transition rapide a créé un choc, car elle bouleverse nos réflexes et nos processus de gestion, mais elle n’est pas encore bien maitrisée par les décideurs.
Au Québec, nous avons longtemps vécu dans un contexte d’abondance énergétique, ce qui a influencé notre façon de penser et de consommer l’énergie. Passer d’une telle abondance à une pénurie demande une période d’adaptation, tant au niveau des processus décisionnels que dans la manière d’utiliser cette ressource. Aujourd’hui, cette prise de conscience doit accélérer pour nous permettre de repenser nos priorités et d’adopter des stratégies mieux adaptées à cette nouvelle réalité.
Dans ce contexte de ressources plus rares, pensez-vous qu’il soit possible de faire plus avec moins ? Qu’exige (ou impliquerait) un changement de perspective ?
Nous sommes à l’aube de la transition énergétique, même si cela fait des années que nous travaillons sur l’efficacité énergétique et le bâtiment durable. Aujourd’hui, la décarbonation est devenue une priorité incontournable, et le manque d’énergie que nous observons accentue la nécessité de revoir nos réflexes et nos façons de faire. Cela nous pousse à saisir de nouvelles opportunités en matière d’efficacité énergétique, un domaine où le marché évolue extrêmement rapidement.
Je constate que le secteur se divise en deux types d’acteurs : ceux qui ont une vision à long terme et qui s’adaptent aux pressions croissantes, qu’elles soient liées aux politiques environnementales ou à la hausse des coûts énergétiques, et ceux qui peinent à suivre le rythme. Par exemple, un client me racontait récemment que dans un bâtiment que nous avions construit il y a seulement trois ans, les stratégies sont déjà obsolètes. Cela illustre à quel point les exigences en matière de performance énergétique progressent rapidement.
Dans une étude récente réalisée en collaboration avec la FTQ, intitulée Génération 1.5, nous avons mis en lumière les risques financiers importants pour les investisseurs et développeurs immobiliers qui ne s’engagent pas dans des projets de bâtiments durables. Cet investissement ne doit pas être perçu uniquement à travers le prisme du retour sur investissement, mais bien comme une mesure essentielle pour limiter les risques financiers à long terme, notamment sur les flux de trésorerie.
Pour répondre à ces enjeux, il est crucial de changer nos paradigmes et de considérer l’efficacité énergétique non seulement comme un levier d’économie, mais aussi comme une nécessité pour assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises face aux défis environnementaux et économiques. Ceci se traduira par une augmentation de valeur du portefeuille immobilier.
Quelle est la gravité du risque lié au fait de ne pas investir dans des bâtiments plus durables ? Comment la gestion d’actifs peut-elle améliorer cela ?
L’étude Génération 1.5 publiée en collaboration avec la FTQ et d’autres partenaires, notamment Hydro-Québec, Énergir, Devimco, ainsi que des experts comme Vertima et BJC visait à analyser les risques financiers associés aux bâtiments durables (verts) comparés aux bâtiments traditionnels (bruns), en mettant en lumière les impacts à long terme sur la valorisation des actifs immobiliers.
Souvent, on perçoit uniquement le surcoût initial d’un bâtiment durable sans prendre en compte les bénéfices économiques et environnementaux qu’il peut générer à long terme. Notre objectif était d’identifier les risques liés à l’inaction, tels que la hausse des coûts énergétiques ; l’augmentation du prix du carbone ; les fluctuations des primes d’assurance ; le prix de location ; et l’impact des réglementations émergentes, comme les normes comptables sur les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les institutions financières et investisseurs immobiliers adoptent de plus en plus des politiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) et cherchent à réduire leur empreinte carbone. Cela influence directement leur stratégie d’investissement, favorisant les bâtiments verts. À l’inverse, les bâtiments bruns sont exposés à de multiples risques, comme leur localisation dans des zones vulnérables aux catastrophes climatiques (inondations, ouragans) ou leur inadéquation face aux nouvelles réglementations climatiques et énergétiques.
Dans l’étude, nous avons simulé deux scénarios :
- Un bâtiment durable (vert) : bien qu’il nécessite un investissement initial plus élevé, sa résilience aux risques climatiques et financiers lui permet de générer un rendement supérieur sur 10 ans, avec une valorisation potentielle jusqu’à 30 pour cent plus élevée que celle d’un bâtiment traditionnel.
- Un bâtiment traditionnel (brun) : Si son coût initial est plus bas, les risques qui se matérialisent (hausse des coûts énergétiques, mise à niveau des équipements, conformité réglementaire) entraînent une diminution de 15 pour cent de sa valeur sur une décennie.
Un point clé est également l’obsolescence prématurée des équipements dans les bâtiments traditionnels. Par exemple, des équipements installés il y a moins de 10 ans pourraient devenir inadaptés aux nouvelles exigences climatiques ou réglementaires, nécessitant des investissements coûteux. Ces réinvestissements pourraient presque annuler tout rendement financier accumulé.
Ainsi, la véritable question n’est pas de savoir si investir dans un bâtiment durable est risqué, mais de comprendre que ne pas le faire expose à des risques financiers majeurs. Les tempêtes financières, climatiques et réglementaires à venir rendent cet investissement stratégique, autant pour sécuriser la valeur des actifs que pour répondre aux attentes croissantes des investisseurs et des institutions.